L’Afrique centrale compte aujourd’hui plus de 200 aires protégées pour une superficie totale de 800 000 km², soit environ deux fois la superficie du Cameroun. Sur les dix pays de la région, les aires protégées ont ainsi doublé en nombre et en taille depuis vingt ans. Selon le nouveau rapport « Aires protégées d’Afrique centrale : État 2020 », l’Afrique centrale remplit quasiment les objectifs internationaux en termes de superficie protégée. Cependant, ces aires sont souvent malmenées et témoignent d’une gestion qui pourrait être améliorée. Dans une optique de développement durable, les auteurs du rapport insistent sur la richesse d’un capital naturel à protéger, qui participe en retour au développement socio-économique de la région.
Le 29 juin 2021, l’Observatoire des forêts d’Afrique centrale (OFAC) a présenté le bilan actualisé de l’état des aires protégées dans les dix pays membres de la Commission des Forêts d’Afrique Centrale (COMIFAC).
« Ce rapport vise à aider tous les pays d’Afrique centrale à mieux gérer leurs aires protégées mais surtout à promouvoir la coopération sous-régionale sur des enjeux communs et transfrontaliers, précise Hervé Martial Maidou, secrétaire exécutif de la COMIFAC. Il propose une vision de partenariat entre les gestionnaires d’aires protégées, les communautés, les gouvernements et la société civile, avec pour but commun d’améliorer les efforts de conservation et de contribuer à atteindre les objectifs mondiaux de préservation de la diversité biologique. »
Rédigé par un groupe d’experts spécialisés dans la conservation en Afrique centrale, avec l’appui financier de l’Organisation des États d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (OEACP) et de l’Union européenne (UE), par le biais des projets BIOPAMA et RIOFAC, ainsi que de la GIZ, « Aires protégées d’Afrique centrale : État 2020 » fait suite à une première édition publiée en 2015, devenue aujourd’hui la publication phare sur les aires protégées de la région.
Cette édition 2020, coordonnée par trois éditeurs scientifiques du Cirad et de l’OFAC-COMIFAC, rassemble au total une cinquantaine d’auteurs d’Afrique centrale et d’ailleurs. Elle dresse un portrait harmonisé du réseau d’aires protégées de l’ensemble de la région. Le rapport montre, sans ambiguïtés, que les réseaux nationaux et le réseau sous régional ont été fortement renforcés mais qu’ils font face à de nombreux défis. Des analyses détaillées, destinées à éclairer les décideurs et les gestionnaires, explorent ainsi de plusieurs thématiques importantes : gouvernance, écotourisme, conflits homme-éléphant, transhumance, mines et industrie pétrolière. Ce document montre l’importance des aires protégées pour le développement durable de l’Afrique centrale : il a pour objectif de contribuer à un dialogue multisectoriel et à une meilleure intégration de ces domaines dans les stratégies de développement des pays.
« L’année 2020 a marqué un moment décisif dans la conservation de la nature, car le monde fait le point sur les progrès du plan stratégique pour la biodiversité 2011-2020 et négocie le nouveau cadre mondial pour la biodiversité, souligne Trevor Sandwith, directeur du Programme global des aires protégées et conservées de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Ce rapport apporte une contribution significative à l’analyse des nombreux facteurs qui contribuent au succès des aires protégées en Afrique centrale mais aussi des défis qu’il faudra dépasser pour atteindre les objectifs globaux fixés. Cette publication aidera donc à cibler les types d’intervention et d’investissement nécessaires pour améliorer la gouvernance et la gestion des aires protégées et pour soutenir leur efficacité en tant que fondement, non seulement de la vie sur terre et de la vie sous l’eau, mais aussi pour les objectifs de développement durable de notre planète »
Les aires protégées d’Afrique centrale recouvrent 15 % de la surface terrestre et 5 % de la surface marine de la région, ce qui représente un progrès significatif vers l’atteinte des Objectifs d’Aichi – fixés à 17 % pour les zones terrestres et 10 % pour les zones marines – adoptés par les pays signataires de la Convention sur la diversité biologique en 2010. En revanche, l’efficacité de la gestion de ces surfaces reste encore à améliorer. En effet, plusieurs facteurs, dont le manque de moyens humains et financiers, la faible participation des populations locales, le peu de données sur les zones à contrôler en priorité, nécessitent une attention particulière dans les futures interventions.
En neuf chapitres, le rapport « Aires protégées d’Afrique centrale : État 2020 » revient sur les enjeux principaux auxquels fait face la région. Le lancement du rapport, le 29 juin 2021, a notamment été l’occasion de revenir sur deux de ces thèmes : la gouvernance des aires protégées et la relation avec les industries extractives.
Mieux intégrer les populations locales dans la gestion des aires protégées en Afrique centrale
Accroître le rôle des communautés dans la gestion des aires protégées est la principale recommandation des auteurs du chapitre sur la gouvernance. Les systèmes intégrant les communautés locales sont en effet ceux qui montrent les meilleurs résultats en termes de conservation des ressources naturelles et de bien-être des populations.
Actuellement, l’UICN reconnaît quatre types de gouvernance des aires protégées :
- Publique : la gestion revient entièrement au gouvernement ;
- Partagée : la gestion est partagée entre des entités publiques et privées (par exemple, via des partenariats public-privé) ;
- Privée : la gouvernance est assurée par des entités privées ;
- Communautaire : les communautés locales gèrent elles-mêmes les aires protégées.
En Afrique centrale, 85 % des aires protégées bénéficient actuellement d’un système de gouvernance publique. La gouvernance partagée représente environ 14 % des types de gestion, et le 1 % restant regroupe des rares cas de gouvernance entièrement privée ou communautaire. Dans le cadre d’une gouvernance partagée, elle s’organise le plus souvent avec des organismes privés à but non lucratif, comme des ONG, via des partenariats public-privé et, plus rarement, avec des communautés.
Selon Patrice Bigombe Logo, directeur du Centre de Recherche et d’Action pour le Développement durable (CERAD), les bénéfices à tirer de ces modes de gestion en plein développement sont nombreux : « Il existe aujourd’hui plusieurs contrats qui délèguent la gestion des aires protégées via des partenariats public-privé. On remarque que ce type de partenariat permet d’améliorer rapidement l’efficacité de gestion des aires, grâce à un appui financier et humain régulier. Par ailleurs, c’est un système qui inclut facilement les populations locales, à travers des concertations, la prise de décision ou via la création d’emplois. »
D’autres recommandations concernent notamment :
- la législation : l’encadrement juridique de la gouvernance des aires protégées date en effet de la période coloniale. Les auteurs appellent à de nouveaux textes de lois, adaptés, opérationnels et cohérents.
- La coopération régionale : de nombreuses aires étant transfrontalières, une refondation de la coordination institutionnelle régionale du réseau des aires protégées d’Afrique centrale apparaît nécessaire.
- L’appui aux parties-prenantes : les projets actuels d’appuis techniques, matériels, financiers et humains sont souvent restreints à un maximum de cinq ans. Les auteurs plaident pour un accompagnement à moyen-terme, planifié sur un minimum de dix ans.
Concilier protection de la biodiversité et développement : améliorer les relations avec les industries extractives
« En Afrique centrale, environ la moitié du réseau d’aires protégées est actuellement menacée par des permis d’exploitation pétrolière et gazière, note Georges Belmond Tchoumba, coordinateur régional du programme Forêt du WWF en Afrique centrale. Le pourcentage monte à 60 % si on inclut l’industrie minière. Des permis sont déjà accordés dans 27 % des aires protégées. »
Les industries extractives représentent un secteur économiquement puissant. Les aires protégées font ainsi face à une asymétrie de moyens et d’investissements, et elles sont défavorisées lors de débats autour des politiques de développement économique.
« C’est oublier l’importance de la biodiversité pour un développement durable, déplore Charles Doumenge, chercheur au Cirad et premier éditeur scientifique du rapport. On sait, par exemple, que conserver une bonne couverture forestière permet d’améliorer la fertilité des sols et d’augmenter la pluviométrie, ce qui assure une protection pour le secteur agricole et donc la sécurité alimentaire d’une région. »
Plutôt que d’opposer conservation et développement, les auteurs proposent donc de renforcer la gestion des impacts des industries extractives : les bannir dans certaines zones très riches en biodiversité ; les permettre dans d’autres zones selon des conditions strictes guidées par des études d’impacts environnementaux.
« L’objectif du rapport 2020 sur les aires protégées d’Afrique centrale, c’est de montrer que protection de la biodiversité et développement socio-économique sont intrinsèquement liés, conclut Florence Palla, coordinatrice régionale du projet RIOFAC et coéditrice scientifique du rapport. Dans une optique de développement durable, les aires protégées s’inscrivent pleinement dans les systèmes productifs, à condition d’inclure les populations locales dans leur gestion. »
Référence
Doumenge C., Palla F., Itsoua Madzous G-L. (Eds.), 2021. Aires protégées d’Afrique centrale – État 2020. OFAC-COMIFAC, Yaoundé, Cameroun & UICN, Gland, Suisse : 400 p.
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